LE FIGARO, 13/14 MAI 2000

Imerys : un cas exemplaire pour les syndicats

par Jean-Louis Validire

HIER À BIRMINGHAM DANS L'ALABAMA, les représentants de la direction d'Imerys, ceux de la fédération syndicale PACE (Paper, Allied Industrial, Chemical and Energy Workers) ont tenté de régler un conflit local qui a pris une dimension internationale.

L'implantation d'une section syndicale à Sylacauga (Alabama) dans une entreprise du groupe Imerys, leader mondial de la valorisation des minéraux, donne aux syndicats l'occasion d'un combat symbolique pour dénoncer ce qu'ils estiment être un double langage des multinationales.

Le problème n'est pas neuf, Mercedes et BMW, pour ne citer qu'eux, ont installé des unités de production en Caroline. Apôtres de la cogestion en Allemagne, les deux entreprises se sont coulées sans beaucoup de peine dans le moule juridique d'un des 32 États américains dit « right to work ». Ils ont en commun une législation du travail qui dresse de nombreux obstacles à l'existence des syndicats. Klaus Zwickel, le président du syndicat allemand la métallurgie FIG Metall, membre du conseil de surveillance de BMW, s'était vu refuser l'entrée de l'usine américaine du groupe.

La société Imerys, issue d'une fusion en 1999 entre le français Imetal et l'anglais China Clays emploie 10 000 personnes à travers le monde dont près de la moitié en Amérique du Nord. Dans le cadre du redéploiement consécutif à la fusion, Imerys a informé le syndicat de Pace que sa section anglaise de l'usine de Sylacauga, regroupée avec un autre établissement, n'était plus reconnue.

Vingt-deux États américains ont en commun une législation faites d'obstacles à l'existence de syndicats

Aux États-Unis, la reconnaissance d'un syndicat intervient à la suite d'un vote du personnel. Si une majorité se prononce pour l'implantation du syndicat, celui-ci devient l'interlocuteur de la direction pour négocier une convention collective. Dans les États qui n'ont pas de législation répressive des syndicats, tout le personnel appartient automatiquement au syndicat. Dans les États « right to work » chacun est libre de cotiser ou non à la section.

Dans le cas d'Imerys, une entreprise avait une section syndicale, l'autre non. La direction a décidé, ce qui provoque la colère de Pace, de décréter que la nouvelle unité n'avait plus de représentant. Et, dans la tradition offensive d'une partie du patronat américain, la direction a lancé une campagne de propagande contre le syndicat pour éviter que le vote demandé par Pace donne une majorité permettant à une nouvelle section de s'installer. Mais, cette fois-ci, la fédération a décidé de réagir. Pace est encore une grosse organisation, elle est affiliée à une fédération internationale qui regroupe 20 millions de travailleurs.

Mardi dernier, à l'occasion de l'assemblée générale Imerys qui s'est tenu à Paris, Jyrki Raina, représentant du syndicat, a pris la parole au nom du fonds de pension américain Walden Asset Management pour dénoncer les « pratiques antisyndicales de la société » expliquant aux actionnaires interloqués qu'elles pouvaient affecter la valeur boursière de l'action. Une intervention relayée par Penny Schantz, la coordinatrice de la campagne en Europe qui a obtenu de Patrick Kron, le président français du directoire d'Imerys l'assurance qu'lmerys souhaitait établir un dialogue avec le personnel mais pas « contre les syndicats ».

Pace qui a reçu l'appui de la CFDT et aussi de la FCTB belge, puisque l'un des actionnaires est le groupe Albert frère, entend déposer une plainte à l'OCDE si aucun accord n'est trouvé à Sylacauga.

L'organisation du château de la Muette est justement en train de revoir ses « guides de conduite » pour les entreprises multinationales en se faisant l'avocat d'un dialogue plus fourni entre les partenaires sociaux. Dans ces conditions, « pourquoi la compagnie poursuit-elle des pratiques antisyndicales aux États-Unis alors qu'elle veut se rapprocher des syndicats en Europe ? » s'interrogent les représentants de Pace qui entendent poursuivre un combat qu'ils jugent particulièrement symbolique des dangers de la mondialisation.